Depuis que les études sur le stress ont montré qu’à une certain dose il pouvait être un allié, l’idée de l’utiliser dans le management n’a pas tardé à voir le jour. Mais est-ce vraiment pertinent ?
L’ambiguïté du stress
Qu’est-ce que le stress ?
Le stress est avant tout une réponse physiologique qui nous permet de réagir face à une situation que nous avons perçue comme menaçante voire dangereuse. Et pour réagir nous devons disposer de ressources physiques et mentales. Et si nous n’avons pas de gourde contenant une potion magique capable de nous donner une force surhumaine, nous avons par contre des hormones qui peuvent jouer ce rôle. Des hormones qui lorsqu’elles sont présentes dans le corps permettent à nos muscles de disposer de plus d’énergie et améliorent également nos facultés mentales. Il faut réfléchir vite et agir vite.
Stress vs performance
Face à ce constat sur le gain de performances que nous apporte cette libération d’hormones, on s’est mis à étudier le stress. On a eu envie de voir s’il y avait un rapport entre l’intensité du stress et le gain en performance. Et pour ce faire, on part du principe que l’intensité du stress est l’image de la concentration des hormones de stress dans le corps. On peut donc faire un graphe qui relie la quantité d’hormones du stress présentes dans le corps à la performance. On obtient la courbe suivante :

Cette courbe montre qu’une quantité modérée des hormones de stress apporte un gain de performances et qu’une quantité supérieure à un seuil nous fait perdre la performance gagnée.
Le point de résistance
Ce point à partir duquel tout bascule a été baptisé le point de résistance. En gros, on pourrait dire que jusqu’à ce point, on est capable de résister, on vit donc la chose comme un défi ou un challenge. Après ce point, on perd nos moyens et c’est là que commence véritablement le stress.

Hormones de stress ou d’action ?
Comme l’axe de X de la courbe représente la quantité d’hormones de stress dans le corps, on pourrait se dire qu’un stress modéré est plutôt bénéfique (partie verte de la courbe) alors qu’un stress dépassant le point de résistance (partie rouge de la courbe) devient mauvais. On simplifie en disant qu’avant le point de résistance c’est du bon stress, et qu’après le point de résistance c’est du mauvais stress. Puisque la partie rouge a été baptisée STRESS, la partie verte est baptisée EUSTRESS qu’on traduit par bon stress puisque « eu » veut dire « bon » en grec.

Mais peut-on vraiment parler de stress quand tout va bien ? Pour marcher, faire du sport, ou se faire plaisir d’une manière ou d’une autre, nous avons besoin de ces hormones pour que notre corps et notre mental puissent être performants. Au final, ce qu’on appelle « hormones de stress » ne sont en fait que des hormones d’action qui nous permettent tout simplement d’agir et penser. Le problème vient quand une situation de danger réclame toute nos ressources pour qu’on puisse se protéger. Loin d’être vécue comme un challenge ou un défi, la situation est perçue et vécue comme stressante. Et ce qu’on appelle « stress » correspond à une situation où notre taux d’hormones d’action dans le corps est au delà d’un certain seuil (point de résistance) et qui s’accompagne d’émotions comme la peur, la colère ou toutes autres émotions négatives.
À l’image de la température qui lorsqu’elle est physiologique nous fait du bien alors qu’elle nous brûle voire nous tue si elle dépasse un certain seuil, les hormones d’actions engendrent deux types de sensations, bonne ou mauvaise suivant leur intensité.
Et c’est bien ça qui rend le stress ambigu ! Considérer que les hormones d’action sont les hormones du stress nous conduit à affirmer qu’on doit vivre en permanence dans le stress. Et dans le cadre professionnel, si une personne se sent stressée on n’hésitera pas à lui dire que c’est normal, qu’il faut un peu de stress pour être efficace. Or si la personne éprouve un malaise dans ce qu’elle est en train de vivre, c’est qu’elle est du mauvais côté de la courbe.
Il ne doit donc pas y avoir du bon stress et du mauvais stress, soit il y a du stress, soit il n’y en a pas !
Quand le management s’empare du stress
Quand le management et les services de qualité de vie au travail s’emparent de la courbe du stress, ils le font en remplaçant l’intitulé de l’axe de X « quantité d’hormones de stress dans le corps » par « niveau de stress« .
Loin d’être anodin, ce changement rend la notion de stress un peu plus ambiguë ! Lorsqu’on parle de quantité d’hormones du stress (ou d’action) dans le corps, on se réfère explicitement à la personne et à son ressenti. Lorsqu’on remplace par « niveau de stress » ça peut tout aussi bien représenter le niveau de stress ressentie par la personne que le niveau de stress apporté par une situation, par exemple une charge de travail.
Mais ce n’est pas le seul changement apporté à cette courbe ! On va jusqu’à la diviser en 4.
- Une première partie dans laquelle on estime qu’une personne va forcément s’ennuyer s’il elle ne reçoit pas assez de stress
- Une deuxième partie qu’on estimera être la zone optimale pour être productif
- Une troisième partie dans laquelle on estime que le stress est contre-productif
- une quatrième partie qui souligne le risque de burn-out !

Malheureusement rien ne va dans cette interprétation de la courbe !
On n’oscille pas autour du point de résistance !
Une des plus mauvaises interprétations qui résulte de ce découpage c’est d’imaginer que pour être au top de la performance, il suffit d’osciller autour du point de résistance.

Si vous cherchez « qu’est-ce que le bon stress » sur Google, et que vous cliquez sur « images », vous verrez un nombre impressionnant de graphiques qui expliquent que la meilleure performance s’obtient en oscillant autour du point de résistance.
Pourquoi c’est faux
Avoir changé l’intitulé de l’axe des X par « niveau de stress » au lieu « quantité d’hormones de stress » masque une réalité. Il faut un certain temps pour que les hormones produites soient évacuées par l’organisme. Comme on dit souvent, il faut 5h pour évacuer 5mn de colère. Si les chiffres sont approximatifs, ils ont le mérite de montrer qu’on ne redescend pas instantanément.
Ce qui caractérise la partie droite de la courbe c’est qu’on ne s’y sent pas bien. C’est un état qui s’accompagne d’un état émotionnel négatif, on ressent des choses comme la peur, la colère, le ressentiment, etc. Or si vous vous rappelez ma vidéo sur l’approche systémique, j’y expliquais que notre état émotionnel « s’incarne » en nous via le triptyque système hormonal, système nerveux et système immunitaire.

Ce qui veut dire qu’en plus du fait que les hormones du stress vont mettre du temps à redescendre, notre état émotionnel va en produire d’avantage. C’est la raison principale pour laquelle on ne peut pas osciller autour du point de résistance. C’est une mauvaise utilisation et interprétation de la courbe du stress qui est totalement décorrélée de la notion de temps. C’est également la raison pour laquelle le burn-out n’a rien à faire sur cette courbe, car le burn-out s’inscrit dans le temps (Voir ma vidéo sur le burn-out). Faire apparaitre l’ennui est tout aussi discutable car on sait aujourd’hui qu’il est important d’être confronté à l’ennui une partie de son temps pour developper sa créativité. Ce qui est incompatible avec un management qui exige une performance optimale sur 8h…
Non seulement ça n’a pas de sens de vouloir osciller autour du point de résistance, mais en plus ça n’a pas de sens non plus de faire aller la zone optimale jusqu’à ce point ! Pour la simple et bonne raison qu’en contexte professionnel, il est important de pouvoir réagir de manière optimale à une urgence, un aléas, un imprévu. Si on est déjà au point de résistance pour avoir le niveau de performance le plus élevé en permanence, ce qui est par nature épuisant, le moindre imprévu nous fait passer en mode stress.
Il est plus pertinent de rester à distance raisonnable du point de résistance pour en avoir sous le pied si jamais une urgence se présente. C’est-à-dire une situation qui peut être stressante mais temporaire. Nous vivons dans une société dans laquelle les changements et imprévus sont nombreux, ce qui demande une certaine agilité mentale qui n’est possible que lorsqu’on ne passe pas son temps en zone rouge.

L’intérêt de la courbe du stress
Le seul véritable intérêt de la courbe du stress c’est de comprendre qu’une personne ne sera efficace que si son niveau de stress matérialisé par la quantité d’hormones de stress qu’elle sécrète reste dans une plage de variation qu’elle peut gérer. Et comme il s’agit de son niveau de stress à elle, il dépendra autant des facteurs professionnels que des facteurs personnels et sociétaux.
Mais le plus important, c’est de ne pas chercher le niveau de stress adapté pour la manager mais plutôt revenir à la définition première de la partie gauche de la courbe : faire en sorte que la personne se sente dans un état mental de challenge et de défi. Et pour ça il y a plus intéressant de la courbe de stress qui est surtout un garde-fou.
Et si on veut vraiment garder la notion de bon et mauvais stress, dans ce cas il faut garder à l’esprit qui si le bon stress n’est pas toujours suivi du mauvais, le mauvais est toujours précédé du bon …
Qu’est-ce que le flow ?
Le flow est un état de concentration sans effort, sans stress, dans lequel on perd même la notion de temps. On est comme absorbé par la tâche qu’on est en train de réaliser et c’est rechercher cet état qui serait certainement le plus utile dans le monde du travail.
On entre dans cet état car notre degré de compétence nous fait dire que la réussite du challenge dans lequel on se lance est atteignable. Qu’on pourra avoir la satisfaction de la réussite. Ce qui augmente la motivation et l’engagement. C’est la raison pour laquelle quand on parle de flow on voir principalement ces deux types de courbes :


Ce que permet la recherche du flow
Rechercher l’état de flow plutôt que de tenter d’évaluer le niveau de stress ouvre des perspectives plus intéressantes dans le management. Ça permet de s’attaquer aux causes qui empêchent l’atteinte de cet état quand l’adéquation entre les compétences et le niveau de défi sont compatibles. Comme par exemple un trop grand nombre d’interruptions, une mauvaise utilisation des outils de communications synchrones et asynchrones, des problèmes liés au capital d’attention ou à la surcharge cognitive qui fait que notre cerveau ne peut pas être dans son état de fonctionnement optimal. Sans oublier le management toxique, le manque de reconnaissance, le manque d’équité, etc.
Travailler sur l’état de flow plutôt que sur le stress est un challenge bien plus motivant pour le management. Comprendre le cerveau plutôt que de chercher à le soumettre permet d’obtenir un meilleur engagement de ses équipes.
