Pourquoi les humains ne font pas de monoterpènes ?

La question peut surprendre et pourtant !

Les monoterpènes et les terpènes en général (ou isoprénoïdes) contenus dans les plantes et les huiles essentielles sont construits à partir de deux molécules complémentaires qu’on appelle l’IPP et le DMAPP. Or les cellules humaines comme les cellules végétales produisent ces deux molécules. On est donc en droit de se demander pourquoi dans ce cas les cellules humaines ne font pas de monoterpènes.

Qu’est-ce que l’IPP

Pour comprendre ce qui se passe, il nous faut dans un premier temps comprendre ce que sont l’IPP et le DMAPP. En fait tous les terpènes dérivent d’un précurseur commun, l’IPP. L’isopentényl diphosphate.

Grâce à une activité enzymatique, l’IPP peut être converti en DMAPP et vice-versa. DMAPP c’est pour diméthylallyl diphosphate. L’IPP et le DMAPP sont des isomères c’est-à-dire que les deux molécules ont exactement la même formule chimique puisque la seule chose qui les différencie c’est la position de la double liaison.

Le rôle principale de l’activité enzymatique convertissant l’IPP en DMAPP et vice-versa est de maintenir un certain équilibre entre ces deux molécules pour permettre une bonne synthèse des différents terpènes. L’IPP et le DMAPP peuvent donc être vus comme des briques élémentaires à 5 carbones pour construire toute une diversité de molécules.

Les monoterpènes sont construits à partir de deux briques élémentaires et ont donc 10 carbones. Les sesquiterpènes sont construits à partir de trois briques élémentaires et ont donc 15 carbones. Les diterpènes possèdent 20 carbones car construits à partir de 4 briques élémentaires.

Le précurseur des monoterpènes est appelé géranyl diphosphate (GPP)
Le précurseur des sesquiterpènes est appelé farnésyl diphosphate (FPP)
Le précurseur des diterpènes est appelé géranylgéranyl diphosphate (GGPP)

Ce qu’il faut comprendre à ce niveau c’est que tous les monoterpènes sont construit à partir du GPP, tous les sesquiterpènes à partir du FPP et tous les diterpènes à partir du GGPP.

À ce stade, ça ne répond pas à notre question initiale à savoir : puisque les plantes et les humains produisent de l’IPP et du DMAPP pourquoi nous ne produisons pas de monoterpènes ?

Les voies de biosynthèse

Dans la cellule, l’IPP est produit par ce qu’on appelle une voie de biosynthèse. La subtilité c’est que les cellules végétales ont deux voies de biosynthèse pour produire l’IPP. La première est la voie MEP (voie méthylérythritol phosphate). Cette voie de biosynthèse est interne aux chloroplastes des cellules végétales. Pour rappel les chloroplastes sont des organites responsables de la photosynthèse dans les cellules végétales.

À ce stade il est assez facile de deviner que les cellules humaines ne disposent pas de cette voie de biosynthèse puisqu’on ne fait pas de photosynthèse. Il y a donc une autre façon de faire de l’IPP. Cette deuxième voie de synthèse se trouve directement dans le cytoplasme aussi bien des cellules humaines que végétales. Cette deuxième voie de biosynthèse s’appelle la voie MVA (voie du mévalonate).

Les plantes ont donc la possibilité de biosynthétiser l’IPP à partir des voies MEP et MVA alors que les humains et les animaux en général ne peuvent synthétiser l’IPP qu’à partir de la voie MVA.

Les voies MVA et MEP dans le végétal

Différences principales entre la voie MEP et la voie MVA

Localisation :

    • Voie MEP : Elle se déroule dans les chloroplastes, les organites responsables de la photosynthèse.
    • Voie MVA : Elle se déroule dans le cytoplasme de la cellule.

    Substrats et réactions initiales :

      • Voie MEP : Utilise le pyruvate et le glycérol-3-phosphate comme substrats de départ. Cette voie est aussi appelée voie non-mévalonate.
      • Voie MVA : Démarre avec de l’acétyl-CoA et passe par le mévalonate, d’où son nom de voie du mévalonate.

      Produits finaux et types d’isoprénoïdes synthétisés :

        • Voie MEP : Fournit principalement des monoterpènes (10 carbones), des diterpènes (20 carbones), et des caroténoïdes (pigments photosynthétiques). Ces composés jouent souvent des rôles écologiques, comme attirer les pollinisateurs ou protéger les plantes contre les herbivores et le stress environnemental.
        • Voie MVA : Produit des sesquiterpènes (15 carbones), des triterpènes (comme le squalène, précurseur des stérols), et d’autres stérols qui jouent des rôles structurels dans les membranes cellulaires et sont impliqués dans la régulation de la croissance et de la signalisation cellulaire.

        Rôles spécifiques et complémentarité :

          • La voie MEP est particulièrement importante pour les composés impliqués dans les interactions avec l’environnement et la photosynthèse (monoterpènes, diterpènes, caroténoïdes).
          • La voie MVA est utilisée pour les composés de structure et de régulation dans la cellule (sesquiterpènes, stérols).

          La voie MVA dans les cellules humaines

          La voie du mévalonate (MVA) dans les cellules humaines est une voie biochimique essentielle qui se déroule dans le cytoplasme et permet de produire des isoprénoïdes, des molécules indispensables pour diverses fonctions cellulaires. Cette voie utilise des molécules d’acétyl-CoA comme point de départ et conduit à la formation de deux unités de base, l’isopentényl pyrophosphate (IPP) et le diméthylallyl pyrophosphate (DMAPP), qui servent de blocs de construction pour des composés plus complexes.

          Étapes clés de la voie MVA

          1. Point de départ avec l’acétyl-CoA : La voie MVA commence par la condensation de trois molécules d’acétyl-CoA, un produit du métabolisme des lipides et des glucides, pour former le mévalonate.
          2. Conversion en IPP et DMAPP : Après plusieurs étapes de transformation, le mévalonate est converti en IPP et DMAPP, qui sont les précurseurs universels de tous les isoprénoïdes.

          Rôles des produits de la voie MVA dans les cellules humaines

          Les IPP et DMAPP produits dans la voie MVA sont utilisés pour la synthèse de divers isoprénoïdes importants dans les cellules humaines :

          • Cholestérol : L’un des produits principaux de la voie MVA est le cholestérol, essentiel pour la structure des membranes cellulaires, la production de certaines hormones (comme les hormones stéroïdiennes) et la synthèse de la vitamine D.
          • Coenzyme Q10 : Cette molécule, aussi appelée ubiquinone, est cruciale pour la production d’énergie dans les mitochondries et agit comme antioxydant.
          • Dolichols : Les dolichols participent à la glycosylation des protéines, un processus important pour le bon repliement et la fonction des protéines.
          • Farnésylation et géranylation des protéines : Ces modifications post-traductionnelles aident à ancrer certaines protéines dans les membranes cellulaires, ce qui est essentiel pour des processus comme la signalisation cellulaire.

          Importance clinique

          La voie MVA est une cible majeure pour les médicaments hypocholestérolémiants, comme les statines, qui inhibent l’enzyme clé de cette voie (HMG-CoA réductase). En bloquant cette enzyme, les statines réduisent la production de cholestérol, contribuant ainsi à la prévention des maladies cardiovasculaires.

          Comparaison de la voie MVA dans les cellules humaines et végétales

          Points communs entre la voie MVA dans les cellules végétales et humaines

          Mécanisme biochimique similaire :

            • Dans les deux types de cellules, la voie MVA commence par la condensation de molécules d’acétyl-CoA pour former le mévalonate. Ce mévalonate est ensuite converti en isopentényl pyrophosphate (IPP) et en diméthylallyl pyrophosphate (DMAPP), les deux unités de base des isoprénoïdes.
            • La série d’enzymes et les étapes impliquées dans la transformation de l’acétyl-CoA en IPP et DMAPP sont similaires dans les deux organismes.

            Production de précurseurs d’isoprénoïdes :

              • Dans les cellules humaines comme dans les cellules végétales, les produits finaux de la voie MVA (IPP et DMAPP) servent de blocs de construction pour des isoprénoïdes plus complexes.
              • Ces isoprénoïdes jouent des rôles essentiels dans chaque organisme, même si les types d’isoprénoïdes produits et leurs fonctions varient.

              Importance structurale et fonctionnelle :

                • La voie MVA dans les deux types de cellules produit des isoprénoïdes qui sont cruciaux pour des rôles structurels (comme les stérols dans les membranes cellulaires) et pour la signalisation cellulaire.

                Différences entre la voie MVA dans les cellules végétales et humaines

                Types de produits finaux et leur utilisation :

                  • Dans les cellules humaines : La voie MVA produit des composés comme le cholestérol, les coenzymes (par exemple, la coenzyme Q10), et des molécules utilisées pour la farnésylation et la géranylation des protéines, qui sont essentielles à la signalisation cellulaire.
                  • Dans les cellules végétales : En plus des stérols similaires au cholestérol (comme les phytostérols), la voie MVA dans les plantes est également responsable de la production de sesquiterpènes (composés à 15 carbones) qui jouent des rôles écologiques, comme la défense contre les herbivores ou les pathogènes. Ainsi, les plantes utilisent davantage la voie MVA pour des composés à fonction écologique, alors que les cellules humaines l’utilisent pour des besoins structurels et métaboliques internes.

                  Localisation et complémentarité avec la voie MEP :

                    • Dans les cellules végétales : La voie MVA est localisée dans le cytoplasme et est souvent complémentaire de la voie MEP, qui se déroule dans les chloroplastes. Cette complémentarité permet aux plantes de produire une diversité de terpènes, y compris les monoterpènes et les diterpènes (issus de la voie MEP), en plus des sesquiterpènes et des stérols produits par la voie MVA.
                    • Dans les cellules humaines : La voie MEP n’existe pas, et la voie MVA est la seule voie de biosynthèse des isoprénoïdes. Ce qui limite les cellules humaines à des isoprénoïdes produits uniquement via la voie MVA, excluant les monoterpènes et certains autres terpènes spécifiques que l’on trouve dans les plantes.

                    Rôles écologiques vs métaboliques :

                      • Plantes : Les isoprénoïdes produits par la voie MVA, comme les sesquiterpènes, servent souvent de défense contre les prédateurs ou de signaux pour attirer les pollinisateurs.
                      • Humains : Les isoprénoïdes produits sont principalement orientés vers la structure cellulaire (cholestérol dans les membranes) et la signalisation interne (modifications post-traductionnelles de protéines, coenzymes pour la production d’énergie).

                      Régulation et intervention pharmaceutique :

                        • Chez les humains, la voie MVA est une cible majeure pour les médicaments hypocholestérolémiants (comme les statines) qui inhibent l’enzyme HMG-CoA réductase pour réduire la production de cholestérol.
                        • Chez les plantes, la régulation de la voie MVA n’est pas ciblée par des médicaments mais peut être influencée par des besoins environnementaux ou par les cycles de croissance, en fonction de la production nécessaire de composés de défense ou de signalisation.

                        Est-ce utile de savoir ça ?

                        Ça dépend… aussi bizarre que ça puisse paraître c’est vraiment une question que je me suis posée à une époque et c’est le résultat de cette réflexion que je vous partage aujourd’hui.

                        Publié par PhytoGenfi

                        Formé à l'école des plantes de Paris, j'ai à coeur de transmettre la passion et le savoir des plantes médicinales. C'est l'objet de mon site

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