
Quand les plantes locales soignent le souffle :
Parmi les usages traditionnels des plantes médicinales, ceux qui touchent à la sphère respiratoire occupent une place de choix. Toux, rhumes, asthme, angines… Ce sont souvent les premières indications vers lesquelles on se tourne, parfois sans même s’en rendre compte : une infusion de thym, quelques feuilles de menthe, une inhalation d’eucalyptus. Mais que se passe-t-il lorsque ces pratiques ne relèvent pas d’un remède ponctuel, mais d’un savoir structuré, transmis de génération en génération ?
C’est ce que documente une étude ethnobotanique récente, menée entre 2023 et 2024 dans la région de Saïda, au sud-ouest de l’Algérie. Les auteurs y ont recueilli les savoirs de plus de 300 personnes, entre guérisseurs traditionnels, herboristes et habitants familiers des plantes de leur région. Au total, 34 espèces médicinales ont été identifiées pour traiter les affections respiratoires, certaines très communes, d’autres moins attendues.
Une médecine populaire encore bien vivante
En Afrique, plus de 80 % de la population rurale dépend encore des plantes médicinales pour se soigner. Non pas par nostalgie, mais par nécessité. Les traitements conventionnels sont souvent coûteux, inaccessibles, ou simplement absents. Dans ce contexte, la phytothérapie n’est pas une alternative : c’est la norme.
En Algérie, le patrimoine végétal est riche : près de 1 000 espèces médicinales ont été recensées sur les 3 139 spermaphytes du pays. Mais malgré cette diversité, peu d’études détaillées documentent les usages réels, ancrés dans le quotidien. C’est ce qui rend ce travail précieux : il nous donne un aperçu à la fois rigoureux et vivant d’une pharmacopée locale appliquée à un domaine très concret – celui des affections respiratoires.
Que soigne-t-on avec les plantes, et comment ?
Parmi les pathologies évoquées par les participant·es, neuf reviennent régulièrement : rhume, angine, toux, troubles respiratoires non spécifiés, congestion nasale, allergies, asthme, pneumonie et bronchite. Les plantes sont souvent utilisées seules, mais aussi en synergie, notamment pour les formes chroniques ou virales (Covid-19 inclus).
Les formes galéniques sont classiques mais efficaces : infusions, décoctions, macérations, parfois complétées par des inhalations ou des applications locales. L’administration se fait principalement par voie orale, une à trois fois par jour. Rien de très spectaculaire, mais une logique d’usage pragmatique, ajustée aux symptômes et aux ressources disponibles.
Les espèces les plus utilisées
Sur les 34 espèces identifiées, certaines ressortent nettement du lot par leur fréquence de citation. Sans surprise, on retrouve plusieurs incontournables de la phytothérapie respiratoire :
- Thymus capitatus (zaatar), cité par près d’un quart des répondants
- Eucalyptus globulus, utilisé pour ses propriétés balsamiques
- Zingiber officinalis (gingembre), souvent intégré aux mélanges
- Syzygium aromaticum (clou de girofle)
- Mentha spicata (menthe verte)
Ces plantes ne sont pas seulement populaires : elles sont considérées comme les plus efficaces, notamment dans les cas de toux chronique, de congestion ou d’asthme.
À côté de ces stars, on trouve des espèces moins fréquemment citées, mais tout aussi intéressantes : Ajuga iva, Lavandula dentata, Artemisia herba-alba, ou encore des plantes alimentaires comme Coriandrum sativum (coriandre) ou Citrus limon (citron).
Feuilles, racines, graines : quelles parties sont utilisées ?
Sans surprise, ce sont les feuilles qui sont les plus sollicitées (37,2 %), à la fois pour leur richesse en composés actifs et leur facilité de récolte. Viennent ensuite la plante entière, les graines, les fruits, les fleurs, et plus rarement les racines.
Ce choix des feuilles est cohérent avec la logique biochimique : c’est là que se concentrent les huiles essentielles, les flavonoïdes, et autres principes actifs impliqués dans l’action antitussive, expectorante ou anti-inflammatoire.
Des mélanges empiriques mais cohérents
L’un des aspects intéressants de l’étude est la reconnaissance implicite d’une forme de pharmacologie populaire, où plusieurs plantes sont combinées pour créer des effets synergiques. Pour le traitement du Covid-19 ou des toux persistantes, on retrouve par exemple des associations de 2 à 3 plantes riches en huiles essentielles, en mucilages ou en composés anti-inflammatoires. On est loin de l’usage “au hasard” : chaque plante est choisie pour une fonction précise dans la synergie.
L’enjeu de la transmission… et de la conservation
Plus une plante est utilisée, plus elle est menacée. Les auteurs de l’étude alertent sur la pression exercée sur certaines espèces, comme le thym, l’eucalyptus ou le gingembre, qui pourraient voir leur population décliner en raison d’une surexploitation non régulée. La sauvegarde des savoirs passe donc aussi par la protection des milieux naturels.
Ce que l’étude nous dit, au fond
Ce travail de terrain rappelle que les savoirs ethnobotaniques sont toujours vivants, structurés, adaptables. Ils ne relèvent pas d’une “médecine du passé”, mais d’une autre manière de faire médecine, centrée sur l’expérience, la répétition, l’ajustement aux ressources locales.
Loin d’opposer tradition et modernité, ce type d’étude ouvre la voie à une recherche intégrative, où les connaissances populaires peuvent dialoguer avec les outils de la science pour mieux comprendre, mieux soigner, et mieux préserver.
Référence de l’étude :
Mohamed Bourouaha, Okkacha Hasnaoui, Noureddine Halla. “Ethnobotany and taxonomy of medicinal plants used for the treatment of pathologies of the respiratory system: case of the Saida region – Western Algeria.” Brazilian Journal of Animal and Environmental Research, vol. 8, n°1, 2025, p. 1–17.
DOI : 10.34188/bjaerv8n1-014
