La digitale pourpre

Pour changer un peu de registre, voici un article qui pourrait être le premier d’une série sur les plantes toxiques ! En effet, il est intéressant de connaître les plantes toxiques pour ne pas les confondre avec d’autres, et pour découvrir que certaines ont également des vertus utilisées en médecine.

Carte d’identité

Par Walther Otto Müller — Domaine public

Nom scientifique : Digitalis purpurea

Elle est passée de la famille des Scrophulariaceae (Classification de Cronquist (1981)) à la famille des Plantaginaceae (Classification APG III (2009)).

Autres noms communs

  • Grande digitale
  • Doigtier
  • Gant de Notre-Dame, Gant-de-bergère
  • Foxes glofa (gant de renard)
  • Gantelet, Gantelée, Gantière, …

Un peu d’étymologie

Digitale provient du latin digitus qui signifie « doigt ». La fleur de la digitale ressemble un peu à un doigt de gant mais son nom se réfère surtout à la facilité avec laquelle on peut introduire un doigt dans sa corolle. Pour la même raison, les Anglais nomment la plante foxglove, « gant de renard » et les Allemands Fingerhut, « dé à coudre ». La digitale pourpre possède de nombreux noms communs en rapport avec les doigts (d’une main ou d’un gant) ou la ressemblance avec un dé à coudre.

Quelques caractéristiques botaniques

La digitale pourpre est une plante bisannuelle à racine pivotante dressée, à tige creuse et feuilles et pédoncules mollement velus. La première année, elle forme une large rosette de feuilles velues, un peu frisées. La seconde année, une tige de 1 à 2 mètres sort de cette rosette. Elle est feuillée et comporte sur un seul de ses côtés une longue rangée de fleurs.

Ses feuilles sont ovales ou oblongues-lancéolées, non divisées, entières ou dentées. Elles font de 10 à 35 cm de long et de 5 à 12 cm de large. Leur face inférieure contient beaucoup de poils, ce qui les rend douces au toucher. Cette caractéristique permet de ne pas la confondre avec la consoude dont les feuilles sont rèches. Lorsque vous n’avez pas de floraison mais que les feuilles à observer, ce détail a toute son importance. Les nombreuses nervures très saillantes sur l’intérieur des feuilles de la digitale pourpre leur donnent un aspect gaufré.

Ses fleurs zygomorphes sont mauves ou blanches, en grappe, penchées, tubulaires et tapissées à l’intérieur de gros poils bruns de 50 mm. La floraison est basifuge (les fleurs s’épanouissent en premier à la base de la hampe florale) et a lieu de juin à septembre.  Chez les digitales cultivées, il n’est pas rare que la dernière fleur au sommet de la tige soit toute ronde et symétrique, au lieu d’être penchée et tubulaire.

Son fruit est une capsule qui contient de nombreuses petites graines jaune pâle de 0,1 à 0,2 mm. La dissémination des graines se fait par le vent (anémochore) ou par les animaux (épizoochore).

Où la trouver

Son habitat naturel est l’Europe de l’ouest. A l’état sauvage, on la trouve dans des clairières, coupes forestières, lisières, haies, landes, coteaux rocailleux, sur des sols acides ou siliceux et bien drainés. On la trouve facilement en France, surtout en Normandie, en Bretagne et en Corse. Sinon elle est plutôt absente des autres régions méditerranéennes et des Landes.

C’est une plante surtout européenne mais elle a conquis le monde entier car elle est cultivée aussi bien comme plante d’ornement (il existe des variétés horticoles de toutes teintes) que comme plante pharmaceutique.

A l’origine

Le botaniste suisse Leonhart Fuchs décrit la digitale pourpre pour la première fois en 1542, dans son ouvrage intitulé New Kreuterbüch. 

En 1597, dans son ouvrage The Herball or General Historie of Plantes, le botaniste anglais John Gerard rejette l’usage médicinal de cette plante :

Amère, épicée et sèche, la digitale est dotée de certaines propriétés purifiantes ; mais, selon les anciens, elle n’est d’aucune utilité et n’a pas sa place dans la médecine.

Et personne ne le contredit… Il faut dire qu’à cette époque, il est risqué de promouvoir de telles plantes car l’accusation de sorcellerie plane toujours dans les esprits. Le commun des mortels semble-t-il connaissait les vertus et les dangers de cette plante. A petite dose, elle pouvait soigner, mais en cas de mauvais fonctionnement rénal, comme elle ne pouvait pas être éliminée par l’organisme, elle s’y accumulait et devenait létale.

Elle est donc utilisée en médecine populaire européenne pour traiter un certain nombre d’affections, mais pas de manière officielle. Au Pays de Galle, des onguents incorporant la plante étaient recommandés pour les maux de tête et les spasmes par les médecins de Myddfai. En Angleterre, elle est utilisée contre l’épilepsie, le goitre et la tuberculose, ainsi que comme émétique.

Avant le 18è siècle même, aucun médecin ne propose la plante comme remède. Il faut attendre William Withering (1741-1799), médecin, botaniste et chimiste anglais, et son traité sur l’usage de la plante contre l’hydropisie, publié en 1785 : An Account of the Foxglove and some of its Medical Uses.

Lui-même souffrait d’hydropisie, un mal qui fait des ravages partout dans le monde à cette époque. De nos jours, l’hydropisie est identifiée comme l’œdème résultant d’une insuffisance cardiaque congestive. 

D’après Carl Frederik von Breda — Domaine public

William Withering aurait découvert un peu par hasard les propriétés tonicardiaques et diurétiques de la digitale pourpre. En tant que médecin, il entend parler d’une guérison miraculeuse d’un patient atteint d’hydropisie depuis de nombreuses années : une herboriste lui aurait recommandé une décoction de plantes. Après analyse, le botaniste découvre la présence de digitale dans ce remède. Il étudie ensuite la plante pendant une décennie et établit son rôle dans le traitement de l’hydropisie. Dans son traité publié en 1785, il examine 163 cas dans lesquels la digitale a été administrée. Il en déduit qu’elle affecte les contractions du cœur et établit la dose la plus efficace et les fréquences d’administration pour traiter l’œdème.

Pour la petite histoire, Withering est également célèbre pour avoir renoncé au système linnéen. Ce système utilisant des métaphores sexuelles pour caractériser les différentes plantes, il était considéré comme inconvenant pour les femmes. Or les femmes étaient nombreuses à s’intéresser à la botanique à cette époque…

Remède & poison

La digitale pourpre est toxique dans toutes ses parties. Elle contient des hétérosides cardiotoxiques, les cardénolides : digoxine et digitaline (appelée aussi digitoxine). 120 gr de feuilles suffisent pour représenter une dose mortelle !

Les symptômes d’empoisonnement chez l’humain sont de trois natures :

  • circulatoire : arythmie, insuffisance cardiaque
  • neurologique : maux de tête, faiblesse, confusion, coma
  • digestif : nausée, vomissements, diarrhée

Côté remède, la digitaline est utilisée dans des médicaments traitant l’insuffisance cardiaque et certaines tachycardies. Comme le Digoxine nativelle, par exemple, qui agit sur le cœur en permettant essentiellement d’en renforcer les contractions et de ralentir son rythme lorsqu’il est excessif. 

Relation toxique…

Par Haplochromis — Photographie personnelle

Il existe différentes espèces de digitales. C’est en Europe de l’Est qu’on trouve une autre espèce de digitale qui produit également de la digoxine et de la digitoxine : il s’agit de la digitale laineuse, Digitalis lanata

Contrairement à la digitale pourpre, la digitale laineuse est une plante vivace. De plus, elle contient plus d’hétérosides que sa cousine, en quantité et en variétés. C’est donc la principale source d’hétérosides digitaliques pour l’industrie pharmaceutique.

Une célèbre victime

Cangrande della Scala est un condottiere et un politicien italien du XIV siècle, membre de la dynastie scaligère. Il poursuit l’œuvre de ses prédécesseurs et porte la richesse et la puissance de Vérone à leur apogée.

Il devient le chef des seigneurs de Vérone en 1311. Mais il meurt 4 jours après avoir pris le contrôle de Trévise, âgé seulement de 38 ans. Immédiatement on pense à un empoisonnement, mais à l’époque, rien ne le prouve… Serait-ce l’œuvre de son neveu et successeur ?

Toujours est-il qu’en 2004, pour en avoir le cœur net, son corps est exhumé : dans ses organes et notamment dans ses intestins, on trouve des concentrations toxiques d’hétérosides digitaliques…

Partie supérieure du sarcophage contenant le corps naturellement momifié de Cangrande della Scala (photographie Gino Fornaciari).

Sources

Publié par PhytoGenfi

Formé à l'école des plantes de Paris, j'ai à coeur de transmettre la passion et le savoir des plantes médicinales. C'est l'objet de mon site

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