Hippocrate avait-il tort ?

On la trouve partout !

Gravée dans les manuels de naturopathie, utilisée en slogan sur les emballages de tisanes ou de super-aliments, reprise comme une vérité absolue dans les cercles de santé naturelle :

« Que ton aliment soit ton médicament ».

Attribuée à Hippocrate, cette phrase semble à elle seule justifier l’idée que tout ce que nous mangeons devrait avoir un pouvoir curatif. Pourtant, cette lecture est une erreur. Ou plutôt un anachronisme.

Car dans le monde d’Hippocrate, la malnutrition était courante, les excès rares, et les maladies provenaient souvent d’un déséquilibre alimentaire élémentaire. Corriger l’alimentation était alors une manière efficace de soulager les troubles, mais cela ne signifiait pas que tout aliment était un médicament.

Cette phrase mal interprétée participe à un brouillage majeur, celui de la distinction entre nutrition et soin, entre soutien du corps et traitement d’une pathologie. Et que cette confusion ne peut être levée qu’à une seule condition :

Retrouver une alimentation équilibrée comme norme de base.

Dans la Grèce antique, l’accès à une alimentation variée, suffisante et équilibrée était rare. La plupart des troubles de santé rencontrés étaient dus à des carences, des régimes monotones, ou des excès localisés (festins religieux, usage médicinal d’aliments).

La médecine d’Hippocrate repose sur la théorie des humeurs, où l’alimentation tient un rôle central dans la régulation des équilibres internes. Les régimes alimentaires étaient donc déjà prescrits comme traitements.

Dans ce contexte, il était logique de penser qu’une meilleure alimentation soignait puisqu’elle rétablissait une fonction défaillante, faute de quoi les symptômes persistaient. Mais ça ne signifie pas pour autant que l’aliment ait, en soi, une vertu médicinale. Il comblait juste une déficience.

Dans le monde contemporain, cette phrase est détournée pour justifier tout et n’importe quoi :

  • Des allégations sur des super-aliments censés guérir l’arthrose, le cancer ou la dépression
  • Des discours simplistes sur le pouvoir absolu de la nutrition
  • Une défiance envers les traitements médicaux établis

Or, dans les pays industrialisés, les pathologies dominantes sont multifactorielles : stress, pollution, héritage génétique, vieillissement, environnement social, etc. Dans ce contexte, l’aliment ne soigne pas, il prévient, il soutient, il entretient. Mais il ne remplace pas un traitement.

Cette citation mal interprétée entretient un flou entre :

  • L’hygiène de vie, qui favorise la santé
  • Et la thérapeutique active, qui répare une fonction atteinte

Tant que l’alimentation est déséquilibrée, tout ce qu’on ajoute semble être un traitement. Le fer devient un médicament, le magnésium devient un antidote. Mais en réalité, ces apports ne soignent pas. Ils restaurent une fonction affaiblie par un défaut chronique.

Une fois une alimentation correcte retrouvée, la différence devient plus nette :

  • L’aliment fournit les conditions normales du fonctionnement physiologique
  • Le médicament intervient quand, malgré ça, la fonction ne revient pas

Cette distinction est essentielle pour ne pas tout médicaliser, ni croire qu’une simple infusion de thym remplace une antibiothérapie. D’ailleurs une tisane de romarin est-elle un aliment ? un soin ? un traitement ?

Tout dépend du contexte :

  • But préventif ? Usage alimentaire.
  • Soulagement fonctionnel ? Complément ou soutien.
  • Traitement ciblé d’une infection ou d’un trouble aigu ? Usage médical.

La réponse n’est donc pas dans la substance elle-même, mais dans son intention d’usage, sa posologie, son cadre d’emploi.

Mais il faut aller plus loin !

La phyto-aromathérapie incarne une approche complémentaire du soin, fondée sur la modulation des fonctions physiologiques et la restauration des équilibres internes. Elle agit souvent en amont de la pathologie, ou dans l’accompagnement de son évolution, sans pour autant prétendre se substituer aux traitements allopathiques.

Dans ce cadre, les plantes médicinales et les huiles essentielles occupent une place essentielle :

  • Elles soutiennent les fonctions d’autorégulation du corps
  • Elles peuvent réduire la charge médicamenteuse dans certaines situations
  • Elles répondent à des besoins insuffisamment couverts par la médecine conventionnelle, notamment en prévention ou en chronicité

C’est pourquoi légiférer sur leur usage demande une compréhension fine de leur statut :

  • Ni simples aliments
  • Ni médicaments de synthèse
  • Mais des outils de soin à part entière, dont l’usage responsable repose sur la connaissance, la formation et l’écoute des besoins physiologiques individuels

Plutôt que d’opposer médicament et plante, il est temps de penser une complémentarité naturelle, où chaque outil a sa place, en fonction du niveau d’intervention requis.

Ce que montre la phyto-aromathérapie, c’est qu’une autre voie est possible. Une voie du soin qui n’est ni médicale au sens strict, ni simplement nutritionnelle. Une voie qui respecte les rythmes du corps, s’inscrit dans le quotidien, et soutient les processus naturels sans les forcer.

Elle nous force aussi à poser la question autrement :

faut-il que tout ce qui agit sur la santé devienne un médicament ? Ou peut-on reconnaître des formes de soin naturelles, complémentaires, qui relèvent de la régulation plus que de la correction ?

Cette réflexion permet de refermer le cycle ouvert par la citation d’Hippocrate. Car finalement, ce qu’il nommait « médicament » était peut-être bien plus large que ce que nous appelons ainsi aujourd’hui. À condition de replacer chaque outil dans sa juste fonction :

  • L’aliment : maintenir
  • Le remède naturel : accompagner
  • Le médicament : corriger

Alors, Hippocrate avait-il tort ?

Non, pas si l’on accepte de revenir à ce qu’il désignait vraiment par « médicament ». Non pas une molécule standardisée aux effets ciblés, mais tout ce qui permettait au corps de retrouver son équilibre. Dans ce sens, l’aliment peut effectivement être un médicament, mais seulement dans un monde où la maladie découle directement d’une carence ou d’un excès.

Le contresens vient de notre époque. Nous avons projeté sur cette citation une vision moderne du médicament, en oubliant les réalités historiques, les usages thérapeutiques anciens, et les enjeux du soin aujourd’hui. En ce sens, ce n’est pas la citation qu’il faut rejeter, mais l’usage trompeur qu’on en fait.

Redonner du sens à cette phrase, ce n’est pas céder à une vision simpliste ou naturaliste de la santé. C’est au contraire poser des repères clairs :

  • L’alimentation construit le terrain
  • Les remèdes naturels accompagnent la régulation
  • Les médicaments interviennent pour corriger ce que le reste ne suffit pas à restaurer

Ce n’est qu’en retrouvant une alimentation équilibrée comme socle de base que l’on pourra redonner à chaque outil de soin, aliment, plante ou molécule sa juste place dans l’écosystème de la santé.

Publié par PhytoGenfi

Formé à l'école des plantes de Paris, j'ai à coeur de transmettre la passion et le savoir des plantes médicinales. C'est l'objet de mon site

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