Un joli nom pour une plante très toxique si on n’y prend garde ! Du remède au poison, il n’y a qu’un pas. Et si cette plante est associée aux sorcières, ce n’est pas sans raison…
Carte d’identité

Nom scientifique : Atropa belladona
Famille : Solanaceae (famille des pommes de terre).
Autres noms communs :
- Bouton noir
- Cerise du diable, belle cerise, cerise empoisonnée
- Morelle furieuse, morelle marine, morelle perverse…
Un peu d’étymologie
Linné a nommé la plante Atropa belladonna en 1753.
Son nom scientifique viendrait d’Atropos, celle des 3 Parques (= le destin des Grecs) qui avait pour fonction de couper le fil de la vie. Le mot atropos signifie inéluctable.
Et belladonna viendrait de bella donna = belle dame, car les dames italiennes utilisaient le suc des baies pour élargir leurs pupilles.

Mais cette dénomination pourrait être bien plus ancienne que l’époque de Linné. Le médecin et botaniste italien Pierandrea Mattioli la mentionne dans son commentaire du traité De Materia Medica de Dioscoride, en 1544. Selon lui, elle est utilisée par des herboristes et des Vénitiens. En 1640, le botaniste anglais John Parkinson écrit dans son Theatrum Botanicum que les dames utilisent la plante pour obtenir un teint plus pâle.
Autre proposition : le terme pourrait avoir la même origine que le latin médiéval bladonna (VIIIè – XIè siècle). Au XVè sièce, il devient bladone en français, puis via les dialectes du Nord de l’Italie, évolue en beladonna, pour finir en belladonna, « belle dame ».
Quelques caractéristiques botaniques

La belladone est une plante herbacée vivace, à tige ramifiée, dont la partie aérienne meurt chaque année jusqu’à la racine. Pendant l’été, elle peut atteindre de 1,5 à 2 m de haut. Elle est portée par une imposante racine conique et charnue.
Toute la plante est couverte de poils glanduleux qui lui donnent un toucher un peu visqueux. Ses feuilles sont alternes, simples, ovales et molles.
Ses fleurs sont solitaires, violacées à l’extérieur, jaunâtres en dedans. Elles sont en forme de cloche et atteignent jusqu’à 30 mm de long.
Son fruit est une baie noire et luisante, grosse comme une cerise et très juteuse. Il peut coexister sur un même pied avec les fleurs d’août en octobre, en Europe. Il contient de nombreuses graines sombres, de petite taille (moins d’un millimètre), qui sont disséminées par endozoochorie (les oiseaux mangent la baie – qui n’est pas toxique pour eux ! – et rejettent les graines par voie digestive).
Où la trouver
Elle est assez répandue en Europe, Asie occidentale et Afrique du Nord.
En Europe, on la trouve surtout sur sols calcaires et à proximité d’anciens monastères ou abbayes, où on la cultivait comme plante médicinale au Moyen-Age. Elle se trouve en bordure des forêts, dans les décombres et lieux abandonnés.
Dans ces zones elle fait partie des pharmacopées, mais on la trouve aussi dans d’autres pays dont elle n’est pas originaire : Chine, Japon, Amériques.
A l’origine
Apparemment elle est très peu connue dans l’Antiquité. Il est possible que Théophraste l’ait décrite sous le nom de Mandragore à fruit noir. Elle était peut-être considérée comme plante magique (magie noire !) pouvant provoquer hallucinations et transes, mais aussi la mort…
Au XIIè siècle, dans son Livre des subtilités, des créatures de diverses natures, l’abbesse et phytothérapeute Hildegarde de Bingen ne recommande pas cette plante :
La belladone est dangereuse à manger et à boire pour l’homme car elle agresse son esprit et le rend comme mort.
Elle conseille juste de l’utiliser en onguent pour soigner les rages de dent.
A partir du XVIè siècle, elle perd son caractère de plante magique ou de sorcellerie pour devenir plante médicinale, cultivée dans les jardins d’apothicaires.
Les ophtalmologistes commencent à utiliser la plante pour effectuer des examens des yeux après étude de diverses préparations faites par le médecin allemand Karl Himly, en 1802.
Comme on l’a vu avec la digitale pourpre, bien dosé, un poison peut aussi être un médicament. Les principes actifs de la belladone, comme l’atropine, sont toujours utilisés en médecine moderne. Les ophtalmologues l’utilisent pour dilater la pupille lors d’un fond d’œil.

Remède & poison
Les toxines que contient la belladone sont des alcaloïdes tropaniques. Ces alcaloïdes augmentent la tension artérielle et inhibent les neurotransmetteurs qui régulent le rythme cardiaque. Ils accélèrent donc les battements du cœur. Certains de leurs effets font donc de la belladone une plante utile en tant que médicament, mais avec des effets secondaires plus qu’indésirables si les doses ne sont pas respectées…
Il est intéressant de noter qu’une intoxication humaine peut aussi se produire par consommation d’oiseaux ou d’escargots se nourrissant eux-mêmes de feuilles ou fruits de belladone. Contrairement à nous, ces derniers ne sont pas sensibles à ses toxines. En épargnant la vie des oiseaux et des escargots, vous sauverez aussi peut-être la vôtre 😉
Les oiseaux et les escargots ne sont pas les seuls à être insensibles aux toxines de la belladone… la plante peut être attaquée par les doryphores, qui sont également insensibles aux feuilles de pommes de terre ou d’aubergines.
Les symptômes d’empoisonnement chez l’humain sont de diverses natures :
- circulatoire : palpitations, tachycardie (pouls rapide), hypertension
- neurologique : confusion, hallucinations, fièvres, tremblements, contractions musculaires
- digestif : bouche sèche, constipation par ralentissement du transit
- autres : mydriase (pupilles dilatées), rougeur cutanée, rétention urinaire, inhibition de la sudation
Côté remède, les indications médicinales toujours en vigueur sont les suivantes :
- réduction des douleurs des coliques intestinales ou urinaires
- relâchement des contractures des muscles lisses (spasmolytiques)
- temporisation des crises d’asthme
- réduction des sueurs nocturnes chez les tuberculeux
L’alcaloïde atropine est toujours utilisée comme drogue pharmaceutique pour dilater la pupille avant une chirurgie de l’œil. L’atropine sert également d’antidote à certains gaz de combat neurotoxiques (Vx, Sarin). Les militaires et les scientifiques amenés à les manipuler sont munis de seringues auto-injectables.
Histoires de sorcières

La belladone est liée aux histoires de sorcières, comme la mandragore et la jusquiame.
On dit qu’elle a été l’un des ingrédients de l’onguent utilisé par les sorcières pour se donner la sensation de voler… les alcaloïdes provoquent en effet une sensation de lévitation ! C’est pourquoi les sorcières sont souvent représentées sur des balais, comme quoi… tout s’explique.
Suicide à la belladone
Robert Cochrane peut être considéré comme un sorcier des temps modernes. Fondateur du cercle du Clan de Tubal-Caïn (mélange de mysticisme celte et de sorcellerie philosophique villageoise), il vivait à Slough, au Royaume-Uni. On l’a retrouvé mort 9 jours après la nuit du solstice 1966.
L’enquête a conclu à un suicide aux feuilles de belladone (avec quelques somnifères en plus au cas où… ). Dans certains cercles de sorcellerie, on dit qu’il s’est auto désigné comme victime sacrificielle.

Recette de la tarte au poison

La plupart des empoisonnements ne sont pas dus à des tentatives de suicide mais résultent de la ressemblance des fruits (baies noires juteuses) avec une espèce comestible, les myrtilles.
C’est le cas d’un couple parti en promenade et qui a cueilli quelques fruits pensant que c’étaient des myrtilles. Mmmmm une bonne tarte aux myrtilles en perspective… ou pas ! Ils ont été retrouvés morts, avec dans leurs vomissures, des graines, et dans la cuisine, la tarte tout juste entamée. Le jardin botanique de Kew (Royaume-Uni) a analysé les fruits : il y avait bien des myrtilles et des baies de belladone.
Sources
- Belladone – Wikipedia
- Tela botanica
- Plantes toxiques, Georges Becker, Grund
- Les plantes qui tuent, Elizabeth Dauncey et Sonny Larsson, Ulmer
- Plantes médicinales, Gründ